Exode
La guerre roule derrière nous son feu, son fer, l’enfer nous poursuit jour et nuit sans répit jusqu’à la mer.
La mer, Ah la mer ! nous la rêvions, port ouvert sur la liberté.
Nous sommes un peuple sans tanière, Sans gîte et sans couvert ; Pas de refuge pour qui fuit.
Nous… Pliant le dos sous nos sacs de toile Et les étoiles,
Nous… Les mains serrant une poignée de terre Pour seul souvenir à emporter.
La nuit la lune est notre lampe, Le jour le soleil nous cuit.
Nous n’avons que nos lambeaux de peau, Pour nous couvrir les os,
Peau huilée de l’exil, Peau iodée de l’exode.
Et devant nous, la mer. Ah la mer ! Comme un tapis de prière,
Dernier ourlet du continent Auquel résignés nous tournons le dos.
Le sable est rouge et chaud, Le sable est beau.
Nous secouons la poussière, Les fourmis de nos sandales, Les scorpions de nos talons,
Avant de prendre Le cargo, le bateau, le radeau.
La mer, Ah la mer ! Notre seul espoir, Notre cimetière peut-être.
Nous sommes un peuple tassé au fond de la cale ;
Hommes femmes enfants, Jeunes et vieux, Apatrides, sans drapeau,
Sans couleur de peau, Dans la nuit qui nous fait gris.
Les yeux sans paupières Et le regard blanc, Un enfant meurt de faim au sein de sa mère.
Et c’est la colère à voix basse, Colère à la merci de la mer.
Et nous voici meurtris, Fruits mâchés pour pourrir Au vent salé.
Et nous voici livrés, A la gueule de l’inconnu, Happés par la langue des sirènes.
Dieu, que fait-il ? Où est-il dans notre exil ?
Dieu, qui est parole Que dit-il dans notre exode ?
« Fais-nous revenir ! Que ton visage s’éclaire Et nous serons sauvés ! »
Mais la nuit verse son encre Et rien ne s’écrit.
La mer est pavée de bons horizons,
Mais les flots nous arrosent d’amertume et de poison.
Mais la mer, Ah la mer ! Devient rouge De sang et de honte.
S’en remettre à demain S’il nous donne la main,
Si l’espoir allume un phare Aux horizons lointains.
(Abbé Thierry PIET, prêtre au Boupère)